Hier soir , à force d’éliminations , je me suis pris à regarder le programme de la 3 « De Gaulle intime »….en mon for intérieur j’ai pensé , après Spiderman , Mégaloman….un raccourci certes inconvenant si l’on veut rester politiquement correct , mais parfaitement approprié avec le recul . Je me suis alors fait la réflexion que j’aurai passé les plus belles années de ma jeunesse dans l’ombre tutélaire de ce géant de légende…1958-1970….j’avais 15 ans à son retour au pouvoir….27 à sa disparition..
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Fraîcheur d’un gris matin de printemps…..je sors de l’étroite ruelle où j’habite et foule le trottoir encore désert à cette heure du boulevard Saint-Germain , les noctambules ont rejoint leurs pénates et la classe laborieuse , rare en cet endroit , son métro. Les magasins n’ont pas encore levé leur rideau de fer , seul le café Danton de l’autre côté de l’avenue semble donner signe de vie derrière sa vitrine embuée.
Anachronisme dans le paysage , des agents de police en tenue d’apparat fond le pied de grue à distance régulière , piétinant sur place en soufflant dans leurs mains gantées de blanc pour se réchauffer. Avant que mon esprit ne s’interroge sur l’incongruité de leur présence , je les vois se figer au garde-à-vous tandis qu’arrive lentement , rutilant dans son uniforme de la garde républicaine , un escadron de motards en formation de parade.
Je regarde la scène sans comprendre , unique spectateur de cet étrange ballet….c’est alors que s’avance à faible allure sous les arbres en bourgeons , un cortège de voitures sombres précédé d’une DS décapotée , debout à l’arrière , un grand personnage flanqué d’un plus petit , noir , sanglé dans un costume militaire d’opérette constellé de médailles , tout deux adressent des signes condescendants à une absence de foule….médusé je reconnais le général De Gaulle , je me demande si je suis vraiment éveillé quand il m’adresse un salut que je n’ai à partager avec personne , le cortège poursuit son cheminement en direction de la Seine me laissant éberlué , j’ai l’impression d’être entré dans une autre dimension , totalement surréaliste.
Je traverse le boulevard de nouveau vide , en marchant vers la rue d’Ulm où je me rend chaque matin pour suivre mes cours , la tête me tourne de cette improbable rencontre , il me revient alors en mémoire une autre fois , plus ancienne , où alors j’étais allé délibérément à la rencontre de l’événement.
Ce devait être en 58 , à Cherbourg , la Presse locale avait annoncé la présence en nos murs du tout nouveau président . J’étais allé écouter son discours à l’hôtel de ville , noyé dans la foule refoulée derrière des barrières métalliques à l’amorce de la rue François-la-Vieille noire de monde . Je l’ai vu descendre le perron , se diriger vers nous suivi d’une cohorte de personnalités , tendre ses bras dans la bousculade , tout contre la barrière , serre les mains qui se tendaient comme vers le Messie , il était tout près…figé , ballotté par la ruée , étourdi par les vivats , je regardais ce grand bonhomme ridé , le teint pâle , une mèche blanche dressée par le vent de la plage toute proche sur son crâne dégarni , je ne l’ai pas touché comme tant d’autres autour de moi , mais j’avais néanmoins conscience de vivre un moment exceptionnel , de voir à deux pas , en chair et en os , une légende vivante , j’étais fasciné , bouleversé , comme on peut l’être à 15 ans , autant que quelques mois plus tôt quand j’avais pu apercevoir à la gare maritime , derrière la vitre de sa grosse limousine noire , le visage d’Eisenhower….ce fut très fugitif , il venait de débarquer du « Queen Mary »…prévenu également par la Presse je m’étais déplacé pour ce court instant de contact avec l’Histoire , hors des journeaux , de la télévision ou des manuels scolaires.
Je vois resurgir toutes ces images en longeant les murs du théâtre de l’Odéon , c’était hier , tellement différent et pourtant semblable , je suis bien obligé d’admettre , à mon corps défendant , qu’aujourd’hui encore , l’émotion existe…incontrôlable.